Herr
Voorsitzender, Herr Burgermeester, Monsieur le Recteur,
Excellences, Mesdames, Messieurs,
Il est usage de dire, lorsqu’on s’adresse à une salle,
combien on est heureux d’être là. En règle générale ce
n’est pas vrai! Mais, cette fois-ci, c’est vrai. Je suis
heureux d’être à Bruges, une ville que j’aime retrouver..
C’est une ville qui m’est chère, dont j’aime les places
ensoleillées, l’ombre des rues et des ruelles, une ville
en fait qui a un "ambiente" du sud et qui apporte l’atmosphère
du sud au nord de la Belgique et qui en le faisant,
transite bien sûr par le Grand-Duché, sans y perdre l’essentiel.
Je suis heureux d’être invité par le Collège d’Europe,
dont la réputation n’est plus à faire et dont je
voudrais dire en tant que Premier ministre de mon pays,
combien que je lui suis reconnaissant d’avoir su former
au cours des décennies écoulées, un grand nombre de
Luxembourgeois, dont beaucoup sont devenus des grands
serviteurs de l’Etat.
Pour cette cérémonie d’ouverture, vous avez su
aligner au cours des temps un cortège prestigieux de
grandes figures européennes, dont beaucoup ont fait
impression ici à Bruges en prononçant des discours
vraiment historiques. Comme je ne peux pas prétendre à
leur rang, je ne voudrais pas faire dans la même veine
historique. Je voudrais vous proposer une causerie sur
quelques évidences européennes, donc sur des aspects de
la construction européenne dont on ne parle pas ou dont
on ne parle pas assez. En le faisant, en me promenant à
travers ces évidences, j’essayerai de vous montrer que
le besoin d’Europe existe. Parce que je crois, en effet,
que ce besoin d’Europe existe, qu’existe un besoin pour
plus d’Europe et qu’il faut parler et savoir parler de
ce besoin d’Europe.
Ma thèse sera que le besoin d’Europe, le souhait
d’avoir plus d’Europe, existe aussi bien dans ce qu’on
pourrait appeler la politique "interne européenne" que
dans la "politique étrangère européenne". J’aime bien
cette expression politique interne ou politique
intérieure européenne, une expression qu’on n’emploie
pas assez souvent, parce que nos politiques communes,
celles que nous connaissons, la politique agricole
commune, tous les éléments de politique qui gravitent
autour de nos quatre libertés de base en font partie,
tout comme l’euro, les éléments qui ont un trait direct
avec la justice et les affaires intérieures et bien sûr
le marché intérieur, et je dirais d’abord le marché
intérieur.
La politique intérieure ou la politique interne
européenne est d’abord constituée par le marché
intérieur. Jacques Delors ne s’y trompait pas et ne se
faisait pas d’illusion sur le marché intérieur et sur la
signification que celui-ci pourrait avoir pour les
peuples d’Europe, puisqu’il disait déjà en 1985, "on ne
peut pas tomber amoureux d’un marché intérieur". Et
comme personne n’est tombé amoureux de ce marché
intérieur, on a commencé à ne plus en parler, parce
qu’on on le considère comme acquis. On ne défend pas le
marché intérieur, lorsqu’il est attaqué. Tous ceux qui
se sentent mal à l’aise dans cette atmosphère dont on
nous a fait cadeau, la globalisation, attaquent très
souvent les règles du marché intérieur pour donner
l’impression aux Européens qui les écoutent, que le
marché intérieur serait une espèce de cheval de Troie de
la globalisation en Europe.
On ne soigne pas le marché intérieur, lorsqu’il est
en train de tomber malade. On regarde allègrement partir
dans tous les sens les principes de base qui fondent le
marché intérieur, comme par exemple le principe
d’origine, dont je ne dirais pas que j’aurai voulu le
maintenir en l’état dans la « directive services », mais
cette façon de faire peu de cas du principe d’origine
est le signe que le marché intérieur commence à devenir
malade et comme on ne l’aime pas, on n’ose pas le
parfaire là où il est imparfait. Résultat : le marché
intérieur n’est pas réellement accepté par les peuples
d’Europe, au contraire, le marché intérieur est subi par
ceux-ci. Très souvent il est ressenti comme une menace.
Le marché intérieur n’est pas le cheval de Troie de
la globalisation en Europe. Ces propos sont injustes,
inexacts et par conséquent il faudra que nous
commencions à réhabiliter le marché intérieur. Pour
pouvoir le réhabiliter, il faut d’abord le réexpliquer,
ensuite le parfaire, enfin le démystifier et finalement
se donner une méthode d’organisation de son avenir.
J’ai dit qu’il faudra que nous réexpliquions le
marché intérieur. Je crois qu’il faut dire et redire que
le marché intérieur est l’instrument qui, en fait,
libère les économies européennes, les sous-économies
européennes et qui libère leur énergie, qui donne des
jambes et des ailes aux économies européennes. Le marché
intérieur permet à l’économie européenne d’acquérir sa
véritable dimension, qui, en fait, est une dimension
globale à vocation planétaire. Une dimension globale,
que les économies européennes ne pourraient pas
acquérir, si les marchés nationaux seraient restés ou
resteraient fractionnés, cloisonnés et restreints.
Le marché intérieur est la clé de notre
compétitivité. On ne le dit pas suffisamment, on ne le
dit pas avec suffisamment de force, parce qu’on a
l’impression que les hommes politiques et d’autres en
Europe aimeraient cacher les règles de base des
fonctionnements majeurs du marché intérieur. En fait,
c’est la clé de la compétitivité européenne. C’est plus
que la clé de la compétitivité européenne. Si nous
n’arrivons pas à faire en sorte que la prospérité
économique, que la croissance économique, le bien-être
économique s’installeront durablement en Europe, faute
d’avoir su mettre en place un véritable marché
intérieur, les peuples d’Europe se détourneront de
l’ensemble de notre construction. La désaffection des
peuples d’Europe par rapport à la construction
d’ensemble gagnera en importance, d’où la nécessité de
parachever ce marché intérieur, de le parfaire.
Prenez l’exemple du secteur des services. Les
services représentent en Europe 70% du produit intérieur
brut de la richesse européenne. Il faut dire que nous
sommes très timides et que nous avons été très timides
et que nous risquons de rester très timides, lorsqu’il
s’agira d’ouvrir davantage le marché des services.
Prenez les marchés financiers, dispersés, mal
structurés, mal organisés. Il faudra que nous mettions
davantage d’intégration dans les mécanismes qui
commandent les marchés financiers en Europe. C’est une
exigence essentielle pour que nous puissions, sur ce
plan-là, prétendre au rang des autres économies de la
triade économique.
Prenez le secteur de l’énergie, c’est le déferlement
des égoïsmes nationaux. C’est la volonté absolue de ne
pas essayer de donner une dimension européenne,
c'est-à-dire continentale, au secteur de l’énergie qui
est essentielle du point de vue de la réussite vers
laquelle nous devons conduire son organisation, pour
faire en sorte que demain la sécurité de
l’approvisionnement sera garantie en Europe et pour
qu’il y ait dans ce secteur essentiel, vital davantage
de concurrence, qui, un jour, permettra de fournir en
très grand nombre d’énormes avantages aux consommateurs
et aux entreprises.
Ou prenez l’exemple de la politique sociale qui reste
embryonnaire. Le marché intérieur a besoin d’une
dimension sociale. Vous ne pouvez pas aligner l’un après
l’autre, pour en faire un ensemble, des principes tels
que la compétitivité, la concurrence, qu’elle soit libre
ou organisée, sans faire référence à la politique
sociale. Il faut que nous nous dépêchions pour mettre en
place un socle de droits sociaux minimaux qui sera le
même partout en Europe et qui protègera les droits des
travailleurs, ces travailleurs, qui, très souvent, ont
l’impression que la construction européenne se fait sans
eux, se fait contre eux et se fait sans que ces
éléments, finalement nobles, des sociétés européennes ne
puissent avoir voix au chapitre.
Si on veut faire du marché intérieur une réussite, il
faudra que nous le démystifiions. Très souvent,
l’impression ambiante est que le marché s’impose par
lui-même, qu’il y aurait une force obscure qui
submergerait les esprits et les mécanismes. Ce n’est pas
vrai. Toutes les règles relevant du marché intérieur
sont décidées politiquement par le Conseil et par le
Parlement en codécision. Ce ne sont pas des forces de
l’ombre qui règleraient le marché intérieur. Ce sont des
hommes politiques, élus, légitimés, qui par leurs
décisions, qu’elles soient exécutives ou parlementaires,
mais toujours législatives, imprègnent de leur volonté
les règles fondamentales du marché intérieur, et donc il
devrait être possible, puisque et les ministres et les
parlementaires sont contrôlés par le suffrage universel,
que nous arrivions à trouver les bonnes intersections
entre les intérêts des travailleurs, des entreprises,
des consommateurs et de l’environnement.
Pour en faire le succès qu’il mérite, il faudra que
nous organisions cette perfection du marché intérieur,
que nous organisions le parachèvement de ce marché
intérieur. Il ne suffit pas de dire « il faut plus
d’Europe », il faut plus de marché intérieur. Il faut
savoir où, quand et comment. Par conséquent, je
proposerais que la Commission revisite l’ensemble des
politiques qui ont été décidées sous l’empire de la mise
en place du marché intérieur, que la Commission Barroso
fasse un peu ce que la Commission Delors à l’époque
avait su faire avec élégance, et que sur base d’une
analyse profonde de tous les éléments du marché
intérieur nous essaierions, sous présidence allemande,
d’en tirer les conclusions et de les mettre en cohérence
avec les grands objectifs de l’agenda de Lisbonne.
Si donc le marché intérieur a besoin de plus
d’Europe, il faudra que nous nous consacrions à cette
tâche, parce que je crois que le marché intérieur
dispose d’une valeur ajoutée européenne cachée,
d’opportunités inexplorées que nous devons en toute hâte
commencer à explorer. Le marché intérieur qui,
disais-je, est essentiel pour encadrer la compétitivité
de l’Europe, pour donner du ressort à la compétitivité
européenne, est aussi une réponse, mais seulement
partielle à la globalisation. La véritable réponse à la
globalisation est constituée par le prolongement
naturel, logique du marché intérieur qu’est la monnaie
unique, l’euro.
Sans monnaie unique il n’y aura pas de véritable
grand marché. L’euro, notre monnaie unique est un
succès, mais un succès qui n’est pas ressenti comme tel
par nos concitoyens. L’euro nous a protégés. En fait, il
nous a protégés depuis que nous ayons décidé sa mise en
place dans le cadre du traité de Maastricht. Depuis le 7
février 1992, nous sommes, ministres des Finances,
autres enceintes du Conseil, en train de préparer la
marche vers l’euro que nous avons introduit au 1er
janvier 1999. La préparation à l’euro et l’arrivée de
l’euro lui-même nous ont protégés.
Prenez les crises nombreuses qui depuis le milieu des
années quatre-vingt dix n’ont cessé de déferler sur
l’Europe et sur le monde. A cette époque, nous avions le
système monétaire européen. Pensez-vous vraiment qu’un
système monétaire européen aurait résisté aux chocs
internes et très souvent externes que nous avons connus?
La guerre d’Iraq, la première guerre en Europe, au
Kosovo, depuis la deuxième guerre mondiale, le 11
septembre 2001, les crises financières
sud-est-asiatiques, russes, latino-américaines, le
double non des Néerlandais et des Français au traité
constitutionnel, tous ces évènements avaient le
potentiel de conduire à un énorme désordre monétaire. A
l’intérieur du système monétaire européen, il y aurait
eu des réalignements anarchiques, des réalignements peu
réfléchis, des réalignements qui n’auraient pas reposé
sur une bonne grille de lecture des données
fondamentales de nos économies. Donc l’euro nous a
protégés. Il continue à nous protéger.
Regardez les nombreux théâtres géopolitiques qui
dégagent des tendances dangereuses qui risqueraient de
nous atteindre si nous n’avions pas cet euro qui nous
protège. Mais cet euro, qui est un succès et un succès
dont personne, y compris nous-mêmes, ne nous pensait
capable, peut mieux faire. Il peut mieux faire en
interne surtout. Nous avons réformé en mars 2005 le
Pacte de croissance et de stabilité. La Banque centrale
à l’époque avait pensé devoir dire que cette réforme
produirait des effets extrêmement pernicieux. Le
contraire est vrai. Nous sommes en train de consolider
nos finances publiques dans tous les pays de la zone
euro, avec plus ou moins de succès. Mais les déficits
budgétaires sont en train d’être corrigés vers le bas.
La surveillance budgétaire reste essentielle. Il
faudra que nous bétonnions ce consensus qui commence à
se dégager des travaux de l’Eurogroupe et qui veut que,
lorsque l’économie va bien, lorsque des excédents de
recettes constituent les à côtés agréables du
redressement économique, que les excédents fiscaux dus à
la reprise économique doivent être affectés à la
réduction de la dette et à la réduction du déficit. Il
est essentiel que tous les pays et que tous les citoyens
comprennent que l’objectif fixé par le Traité n’est pas
d’avoir un déficit de 3%. C’est un plafond, un maximum
qu’il ne faut pas dépasser, sauf dans des circonstances
exceptionnelles. Le véritable objectif est d’avoir des
finances publiques en équilibre ou en quasi équilibre et
c’est essentiel que, surtout les jeunes, insistent sur
la nécessité qu’il y a d’assigner à nos finances
publiques une situation en équilibre ou en quasi
équilibre puisque les conséquences évidentes du
vieillissement démographique de nos populations nous
demandent urgemment de faire en sorte qu’aujourd’hui
soient mis à la disposition du financement de nos
systèmes de sécurité sociale les moyens que demain ces
systèmes ne pourront pas générer de par leur propre
force.
L’euro peut mieux faire, c'est-à-dire que nous devons
en Europe discuter des éléments qui relèvent du
macro-structurel dans une perspective vraiment
horizontalement européenne et non plus dans un cadre
exclusivement national. Nous devons faire à notre goût,
au rythme qui convient à chaque pays, partout les mêmes
réformes structurelles. La réalité macro-structurelle à
cessé d’être nationale, puisque l’économie nationale au
sens premier du terme, n’existe plus sur l’ensemble de
la zone euro et par conséquent il faudra que nous
approfondissions à l’Eurogroupe et ailleurs nos
discussions macro-structurelles, ce qui est une façon
d’appeler à une meilleure coordination des politiques
économiques qui reste faible en dépit des progrès qui
ont pu être réalisés. Elle reste faible parce que le
traité de Maastricht et ses successeurs avaient trop
omis de donner le même tonus au pôle économique de
l’union économique et monétaire qu’au pôle monétaire et
par conséquent il faudra de la volonté politique pour
élever les politiques économiques au même rang et leur
accorder la même influence qui revient aux politiques
strictement monétaires, ce qui m’amène à dire que bien
sûr il faudra en interne, pour parfaire le
fonctionnement interne de la zone euro, que nous
approfondissions là encore notre dialogue avec la Banque
centrale européenne qui est satisfaisant, mais qui
pourrait produire de meilleurs résultats. Je n’insiste
pas trop sur ce point, parce que cela donne toujours des
sueurs froides à Francfort et par conséquent je m’en
tiens là et je répète tout ce que j’ai dit jusqu’à
présent.
Il faudra qu’ensuite et en interne nous
réfléchissions à une meilleure représentation externe de
la zone euro. Pourquoi est-ce que la représentation
externe et sa future configuration est un élément qui
relève de la politique interne de la zone euro ? Parce
que hors zone euro, tout le monde s’attend à ce que nous
soyons mieux représentés. C’est la première fois de ma
vie que je vois une équipe soumise à des pressions et
demandes urgentes des autres pour qu’elle s’organise
mieux, pour qu’elle ait un chef, pour qu’elle ait un
porte-parole, pour qu’elle se mette sur une chaise au
lieu de revendiquer des salles entières et où ceux qui
pourraient contribuer à nous organiser de façon plus
efficace et plus cohérente disent, "non, nous sommes une
zone, mais nous sommes plusieurs". Il y a cette
mentalité du siège qui veut, que tous les Etats membres,
membres de la zone euro tiennent beaucoup à ce qu’ils
restent en place comme leader de leur constituante
respective au Fonds Monétaire International. Nous ne
répondons pas correctement à cette demande qui nous
vient de l’extérieur alors que personne ne conteste que
nous sommes devenus après quelques années, avec cette
jeune monnaie unique, un des grands acteurs de
l’économie mondiale et du système monétaire
international.
Si je dis que le marché intérieur est nécessaire, si
je dis que l’euro est le prolongement naturel, logique
du marché intérieur, je dis que toutes les politiques
qui concernent la justice et les affaires intérieures
constituent un complément essentiel du marché intérieur.
C’est un élément assez récent de la construction
européenne, mais en dépit de sa relative jeunesse les
affaires relevant de la justice et des affaires
intérieures ont accusé un progrès notable sur ces
dernières années.
Le Conseil européen de Tampere en octobre 1999 s’est
révélé être un véritable catalyseur pour stimuler
l’espace de liberté et de sécurité et de justice.
Liberté, sécurité et justice : je décris les droits les
plus élémentaires des Européens. Les Européens ont droit
à la liberté, à la sécurité et à la justice.
L’Europe des citoyens dont on parle beaucoup, elle
est-là. Elle est dans le domaine de la liberté, de la
justice et de la sécurité. Par conséquent, il faudra que
nous maintenions en marche l’atmosphère qui fut celle de
Tampere.
Or je constate depuis un certain nombre d’années,
comme un affaissement de l’ambition judiciaire de
l‘Europe, un essoufflement des efforts qui devraient y
être consacrés. Je le constate surtout en matière
pénale, où les compromis deviennent de plus en plus
difficiles, dû notamment, mais pas exclusivement, au
maintien en place du principe de l’unanimité.
Résulte de cette difficulté de forger des compromis
une série d’anomalies qu’il est dangereux de multiplier
: des dispositions alternatives parmi lesquelles les
Etats membres de l’Union européenne peuvent choisir, des
dispositions facultatives qu’on respecte ou qu’on ne
respecte pas, des « opt-out », le malheur en fait de
tous les compromis européens qu’un certain nombre
d’Etats membres soient autorisés à ne pas participer à
une grande ambition de l’Europe.
C’est une géométrie, à mes yeux et à mon goût trop
variable, qui conduira à des difficultés d’application
prétoriennes et nous arriverons bientôt au stade où la
politique judiciaire européenne ne se distinguera que
très peu de l’entraide judiciaire classique qu’il existe
entre les Etats. Or, entre les 27 membres de l’Union
européenne il doit y avoir une autre intensité de
coopération judiciaire comme entre le Lichtenstein et le
Mexique. Je m’excuse, l’Union européenne a tout de même
vocation à voir entre les différents Etats membres de
son territoire des liens autrement plus fermes que
d’autres ensembles en Europe ou ailleurs.
En matière judiciaire, en fait, nous avançons à pas
comptés et à coups de mesures sans connaître l’objectif
global et final que nous devons assigner à l’Europe
judiciaire. Nous ne disposons pas d’une vue d’ensemble
sur l’objectif final, contrairement à des politiques
mises en place par analogie qui concernent
l’immigration, le domaine des visas ou le domaine de
l’asile. Je crois qu’il est urgent que nous commencions
à réfléchir à une vision d’ensemble, à un objectif final
de l’Europe judiciaire pour 2020.
Je crois, en effet, qu’il serait opportun de mettre
en place un groupe de sages pour réfléchir à cet
objectif final. Je proposerais de faire présider ce
groupe des sages par l’ancien garde des sceaux et
président du Conseil constitutionnel français, Monsieur
Robert Badinter, qui a consacré beaucoup de sa réflexion
à cet ensemble de problèmes. Tous les Etats membres
devront, lorsque le concept sera établi, y adhérer, non
pas tous en même temps mais chacun à son rythme, mais
jamais à son goût.
Pour ce faire il faut un certain nombre de
préalables. Il faudra d’abord que nous fassions de la
reconnaissance mutuelle le principe directeur pour nos
initiatives futures et pour pouvoir ce faire, il est
évident que nous avons un énorme besoin de standards
communs en Europe, exprimés d’une façon minimale, ce qui
ne veut pas dire minimaliste.
Il faudra ensuite que nous ayons tous, et dans tous
nos pays, une meilleure connaissance des cultures, des
pratiques judiciaires, y compris des procédures
judiciaires. Nous sommes installés dans une ignorance à
peu près complète des procédures notamment pénales et
d’instruction criminelle des différents Etats membres de
l’Union européenne. Je suggère de mettre en place une
école européenne de la magistrature, une idée déjà
suggérée par Robert Badinter, pour que nous
enrichissions nos connaissances sur nos voisins directs
en Europe, connaissances qui sont essentielles au bon
fonctionnement d’une Europe judiciaire.
Finalement, il faudra que nous commencions à explorer
la coopération judiciaire civile. Le nombre des litiges
transfrontaliers ne cesse d’augmenter, les conflits des
lois sont nombreux en matière de divorce, de mariage, de
droits successoraux et autres. Il faudra que nous
n’ayons pas peur de toucher, tout en préservant la seule
souveraineté nationale du droit de la famille, des
aspects essentiels du transfrontalier civil, si je peux
me permettre de m’exprimer de cette façon.
Je dis donc qu’il nous faut une vision sur le long
terme. J’ai mentionné l’année 2020. Il faut que nous
accordions suffisamment d’attention à un certain nombre
de préalables, mais il faut aussi saisir les chances et
les opportunités qui existent. Nous avons dans le traité
de Nice, qui n’est pas beau, la passerelle de l’article
42 qui nous permettrait de décider sur un certain nombre
des matières que je viens de mentionner avec majorité
qualifiée, en codécision avec le Parlement européen et
sous le contrôle du juge, soit européen, soit national.
Je crois qu’il y a là une véritable chance. Nous ne
devons pas avoir peur de franchir cette passerelle qui,
lorsque nous l’aurons franchie, révèlera avoir été une
réponse seulement partielle au problème de l’Europe
judiciaire et de l’ensemble des questions qui gravitent
autour de la notion de justice et d’affaires
intérieures.
Je crois qu’il faut néanmoins saisir cette chance,
qu’il faut la saisir maintenant, qu’il ne faut pas
abandonner l’ambition de mettre fin à ce système de
piliers qui caractérise le domaine justice et affaires
intérieures et je crois qu’il faudra que nous
généralisions, en l’étendant au domaine justice et
affaires intérieures, la méthode communautaire. Saisir
la chance de l’article 42 immédiatement et parfaire
cette opportunité, cette chance saisie, en lui
adjoignant la suppression des piliers et la
généralisation de la méthode communautaire.
S’il y a un besoin d’Europe, un besoin de plus
d’Europe en matière de politique interne, marché
intérieur, Euro, JAI, il est évident qu’il y a un besoin
d’Europe en matière de politique extérieure.
On a moins de difficultés d’ailleurs d’expliquer ce
besoin d’Europe en matière de politique extérieure,
puisque tout le monde constate qu’il y a une demande
pressante pour plus d’Europe à travers la planète et
dans notre proximité immédiate.
Regardez les Balkans occidentaux, mais aussi le
Moyen-Orient, où nous avons agi avec force et avec
succès notamment au Liban. Regardez l’Afrique, ce
malheureux continent qui n’a pas d’autre allié que
l’Europe. Regardez l’Asie. Partout on nous demande
d’être plus présent, on nous demande d’exercer une plus
grande influence, on nous demande de prendre en charge
les responsabilités qui d’après ceux qui nous les
demandent, seraient les nôtres et qui en fait sont les
nôtres.
C’est particulièrement visible dans le domaine de la
coopération au développement où nous sommes ridiculement
faibles. Nous avons, nous qui en Europe supportons 55%
de l’ensemble de l’aide au développement globalement
distribuée, nous ne sommes arrivés qu’à un niveau
largement inférieur à 0,7% de notre PIB.
Sous Présidence luxembourgeoise nous avons décidé de
porter à 0,56% de notre richesse nationale notre effort
de coopération jusqu’en 2010 et de le corriger vers le
haut, à 0,7%, en 2015. Chaque jour meurent 25000 enfants
de faim. Est-ce que l’Europe a fait tout ce qu’elle
aurait dû faire? Est-ce que l’Europe a fait tout son
travail, tant qu’il y a 25000 enfants qui meurent jour
après jour de faim, de pauvreté et de misère ?
Non, le projet européen n’est pas seulement un projet
pour l’Europe, c’est aussi un projet que nous devons
exporter, si j’ose dire, pour faire profiter ceux qui
sont dans le malheur, pour les faire profiter des
avantages que nous avons su accumuler en Europe.
Il est tout de même scandaleux de voir qu’il y a
seulement 5 pays qui aujourd’hui consacrent plus que
0,7% de leur richesse nationale à la coopération. Tous
des petits pays : la Norvège et puis le Danemark, les
Pays-Bas, le Luxembourg et la Suède, ceux que j’appelle
les G 0,7. Si tous les G7 étaient aussi des G 0,7 il ne
faudrait pas attendre l’an 2015 pour alléger le malheur
de ceux qui sont dans la souffrance.
Le grand projet de l’Europe pour la première moitié
de ce siècle doit être l’éradication de la pauvreté sur
la planète, sinon l’Europe n’a pas fait ce qu’elle
aurait dû faire. Il y a donc un besoin énorme d’Europe
en matière de politique extérieure, de sécurité et de
coopération au développement.
Cette demande de plus d’Europe est aussi très réelle,
lorsque nous examinons notre voisinage immédiat et dont
je devrais parler ici, mais le temps m’est trop court,
de l‘élargissement qu’il faudra que nous continuions,
parce qu’il faudra que nous réussissions ce mariage, ces
retrouvailles entre la géographie et l’histoire
européenne. Mais nous devrons le faire d’une façon un
peu différente de celle avec laquelle nous avons essayé
de façonner notre continent jusqu’à présent. Il faudra
que nous réfléchissions à des "membership" différenciés
suivant les différents nouveaux Etats membres qui
viendront nous rejoindre, concept de "membership" à
intensité variable, qui pourrait être aussi au goût de
certains des Etats membres actuels, qui ne se sentent
pas très à l’aise dans cette salle faite d’ambitions et
d’avenir et qui pourront choisir, si elle était en
place, de prendre place dans cette autre orbite.
A ce besoin d’Europe, quelle est la réponse que nous
avons essayée de formuler ? Nous avons essayé de
formuler la bonne réponse, une réponse permettant ce
plus d’Europe, répondant à ce besoin d’Europe, au cours
des travaux de la Convention, autour des travaux de la
Conférence intergouvernementale et au niveau des
dispositions finalement retenues par le traité
constitutionnel. Ce traité constitutionnel était supposé
entrer en vigueur le 1er novembre. Non pas premier
novembre 2018, mais le premier novembre 2006, après
demain aurait dû être l’entrée en vigueur du traité
constitutionnel.
Nous sommes en crise après ce double « non »
néerlandais et français. Je sais bien que mes amis,
surtout premiers ministres néerlandais et français vous
expliquent que ce n’est pas vrai, que l’Europe n’est pas
en crise. Si moi j’étais Premier ministre néerlandais et
si j’avais perdu un référendum, au lieu d’être un
Premier ministre luxembourgeois à avoir gagné un
référendum, je dirais bien sûr l’Europe n’est pas en
crise, c’est une petite péripétie, ça arrive, un
accident de parcours. Ce n’est pas vrai.
Nous sommes en crise, parce que nous n’arrivons plus
à jeter de pont entre ces deux sensibilités qui existent
dans nos opinions publiques, les 50% de citoyens qui
veulent plus d’Europe et les 50% de citoyens qui nous
expliquent que déjà aujourd’hui nous avons trop
d’Europe. De là résulte une crise de confiance d’abord
entre les gouvernements.
Je ne veux pas faire de reproches mal réfléchis à un
certain nombre de mes collègues, mais il n’est tout de
même pas acceptable que nous signions à 27 un traité,
que 18 d’ici quelques semaines auront ratifié le traité,
dont 2 par référendum, l’Espagne et le Luxembourg, et
que les autres nous disent, nous on attend.
Il faudrait tout de même que nous nous rappelions le
fait que nous sommes une communauté de droit et qu’une
signature a une valeur. Si 27 gouvernements signent un
texte, il faudrait, - en fait, c’est la règle en matière
de droit international public -, qu’ils soumettent à la
ratification les textes qu’ils ont signés. Voilà, nous
on attend. Il est dangereux d’attendre. D’ailleurs nous
devrons au cours des mois à venir écouter ceux qui ont
dit non. Ceux qui ne se sont pas exprimés doivent savoir
qu’ils ont moins d’influence que ceux qui ont dit oui ou
ceux qui après leur non ont repris la réflexion sur la
construction d’ensemble.
Il y a une crise de confiance entre les gouvernements
que personne ne nie, puisque nous n’aimons pas en parler
et puis il y a une crise de confiance, j’en faisais
référence tout à l’heure entre les gouvernants et les
gouvernés, puisque nous ne savons plus vers où les
peuples veulent aller et les peuples ne savent plus vers
où les gouvernants veulent aller.
Il y a à tout cela une explication. Nous avons
toujours, sur les décennies écoulées, surtout les deux
dernières, donné une mauvaise explication de l’Europe,
parce que après nos réunions du Conseil des ministres ou
après nos réunions du Conseil européen, nous retournons
dans nos capitales pour expliquer à nos concitoyens que
nous avons gagné et que les autres ont perdu. Ou, si
nous n’avons pas obtenu raison, que les autres étaient
insuffisamment intelligents pour comprendre ce que nous
voulions exactement. D’où l’idée que l’Europe serait un
grand match, une grande bataille des uns contre les
autres. Or, l’Europe n’est pas le théâtre des
affrontements entre les intérêts nationaux. L’Union
européenne doit être le lieu de recherche de l’intérêt
commun. Et l’intérêt commun européen est autre chose que
l’addition des intérêts nationaux ou que le compromis
entre les intérêts nationaux. Cette dimension
particulière, cette spécificité de l’Europe gagnerait à
être mieux expliquée à ceux qui nous observent de loin.
On a manqué de volonté d’explication, on manque aussi
quelque fois de lucidité. Je suis là toujours dans
l’autocritique. Je dis que nous manquons aussi de
lucidité, lorsque nous pensons que l’Europe des
résultats, à laquelle nous faisons allusion, trop
souvent, bien qu’elle soit nécessaire, pourrait
remplacer le traité constitutionnel. L’Europe des
résultats bien sûr est nécessaire. Elle a toujours
existé. Elle devra continuer à exister avec plus
d’entrain, plus d’énergie, plus d’emphase, plus de
résultats tangibles. Mais elle n’est pas suffisante.
Elle ne saurait remplacer le traité. Cette Europe des
résultats bien sûr fut un mécanisme utile à un certain
moment de la conjoncture politique européenne pour nous
sortir de la paralysie qui nous guettait. Un instrument
pour sortir de la paralysie, mais pas une alternative
pour remplacer l’autre instrument plus fondamental que
constitue le traité constitutionnel auquel il faudra que
nous retournions le plus rapidement possible.
Enfin je voudrais que, dans les débats qui vont
s’installer, nous gardions le traité constitutionnel
comme le traité de référence et que nous mesurions
toutes nos actions et toutes nos initiatives par rapport
au degré d’ambition qui fut celui du traité
constitutionnel. Il aura été ratifié par 18 Etats
membres sous peu et il doit être évident, puisque c’est
de bon sens, que le niveau d’ambition d’un autre traité
qui pourrait venir remplacer celui qui vient d’être
refusé par deux souverains, ne va pas s’aligner sur la
position de ceux qui ont dit non ou qui n’ont rien dit.
Il est évident que les 18 pays qui ont ratifié, dont je
rappelle deux par référendum, ont le devoir presque
moral d’exiger que l’essentiel de la substance soit
transféré du traité constitutionnel vers un autre grand
traité que nous devons avoir.
Il faut bien sûr écouter ceux qui dans les pays qui
ont dit non, se mettent à penser au lendemain. Je fais
référence au discours de Nicolas Sarkozy qui au moins a
le courage, pendant une campagne électorale en France,
pendant lesquelles en général on ne parle pas de
l’Europe, de parler de l’Europe. Après les élections aux
Pays-Bas, il faudra que nous nous ressaisissions au
niveau du Benelux pour redevenir cette force de
proposition que les trois pays du Benelux étaient
toujours au cours de l’histoire de la construction
européenne, en espérant que le Benelux ne perdra par son
nord en essayant de le faire, ce que nous réussirons
sans doute.
Il n’est pas exact de dire qu’il serait suffisant de
réarranger les mécanismes institutionnels de l’Union
européenne. Je crois que le réarrangement
institutionnel, rendu nécessaire par les vagues
d’élargissement successives est nécessaire, mais c’est
le minimum que nous devrons réaliser. Ce n’est pas une
démarche qui serait suffisante pour faire en sorte que
demain l’Europe se porte mieux.
J’ai dit qu’il faut sauver la substance du traité
constitutionnel et qu’il faut sauver les grands
équilibres que le traité constitutionnel après d’âpres
négociations et discussions a mis en place. L’équilibre
entre l’institutionnel, les politiques et les
compétences dans les différentes politiques et les
différentes institutions sont assortis. Parmi cet
équilibre ainsi défini figurent des éléments auxquels on
ne fait que très rarement référence ou trop rarement
référence.
Pourquoi est-ce que nous abandonnerions au moment où
ces principes très souvent sont remis en cause, parfois
en Europe, ailleurs très souvent, pourquoi est-ce que
nous renoncerions au début du 21e siècle à la Charte des
droits fondamentaux ? Pourquoi est-ce que nous
renoncerions à ce qui aurait pu devenir un acquis du
traité constitutionnel en matière de politique
extérieure et de sécurité commune et de politique de
défense ? Pourquoi est-ce que nous abandonnerions l’idée
de renoncer aux piliers qui aujourd’hui sont le propre
de l’architecture européenne et qui bloquent à bien des
égards les avancées dont nous aurons besoin ? Non, le
débat n’est pas, comme on le présente souvent, entre la
première, la deuxième et la troisième partie du traité
constitutionnel, puisque les éléments que je viens de
mentionner, à part la Charte, figurent au 3e chapitre.
Le véritable débat doit porter sur les éléments centraux
des trois parties du traité constitutionnel qui lui
donnent en fait son équilibre et qui assurent
l’équilibre à la construction d’ensemble. Construction
d’ensemble qui rend nécessaire une réflexion d’ensemble,
devant conduire à un nouveau grand traité, qui ne doit
pas être moins ambitieux que celui qui vient d’être
refusé par deux Etats membres.
Sur ce chemin vers ce grand traité, nous aurons à
formuler une déclaration à l’occasion du 50e
anniversaire du traité de Rome. Je crois que c’est une
bonne chose que nous nous redisions l’amour que nous
pouvons avoir les uns pour les autres, un renouvellement
de bans comme dans les vieux couples qui au moment de
leurs noces d’or reviennent aux origines, il est vrai
dans un contexte quelque peu différent. Ce texte
politique doit être court, peut être solennel, et il
doit montrer le chemin que la présidence allemande
pourra emprunter pour dégager les pistes vers ce traité
que j’appellerai de mes vœux. Que la présidence
allemande élimine toutes les mauvaises options qui
peuvent être sur la table, et qu’elle se concentre sur
quelques lignes fortes, sur quelques pistes qui doivent
être des avenues qui nous conduirons vers ce traité,
dont je rappelle qu’il doit être un grand traité.
Il serait souhaitable bien sûr d’avoir ce traité à
notre disposition au plus tard en juin 2009, lorsque
auront lieu les prochaines élections européennes. Mais
je crois qu’il est plutôt improbable d’avoir un résultat
satisfaisant, puisqu’on ne peut pas se déclarer d’accord
avec n’importe quel traité avant 2009. Il sera carrément
impossible de l’avoir, si nous continuons à lier, le
traité constitutionnel ou le grand traité, la revue
nécessaire des perspectives financières et l’ensemble
des problèmes qui font le cortège de l’élargissement. Si
nous essayons de tout faire et de tout faire en même
temps, nous prenons le très grand risque de ne pas
arriver à nous mettre d’accord, ne fusse que sur un des
trois éléments que je viens de citer.
Avant que Monsieur le Gouverneur ne déclare ouverte
l’année académique, je voudrais vous déclarer incertain
l’avenir de l’Europe et je voudrais vous dire qu’il n’y
a aucune raison néanmoins d’être découragé. Le moment
est venu pour tous ceux qui y croient encore, -et ils
sont nombreux-, de rassembler leurs forces pour
convaincre ceux qui douteraient encore.
Je ne voudrais pas que nous revenions au constat de
Blaise Pascal qui disait que le hasard est le maître du
monde. Non, ce sont les projets, ce sont les visions, ce
sont les décisions se fondant sur des projets et des
visions qui doivent redevenir le maître du monde pour y
arriver, pour faire en sorte que ce à quoi les pères
fondateurs de l’Europe ont cru et ce à quoi je
continuerai à toujours croire.
Il nous faudra beaucoup de patience et beaucoup de
détermination. Il nous faudra cette patience et cette
détermination dont ont besoin les longs trajets, les
longues distances et les grandes ambitions.
Merci beaucoup |